La sensation grisante de la plume crissant sur le papier

C’est un geste simple – qui bientôt ne sera plus enseigné dans certains états américains ! – que celui de laisser glisser la plume d’un stylo sur le papier. Il y a quelque chose de magique à voir l’encre se déposer sur la feuille, rester irisée quelques instants avant d’imprégner le papier.

Il y a ces moments formidables où les mots viennent, coulent à l’image de ce fluide coloré, où l’esprit « voit clair » et les idées se fixent d’elles-mêmes. Ce signal retentit parfois et on le nomme « inspiration ». Les sensations se laissent décrire, conservent cette permanence avec un peu plus de prégnance qu’à l’habitude et perdurent au bout de la langue, comme ces fruits amers qui ne se dévoilent qu’en note de fond et persistent bien après la déglutition. Ces instants précieux sont le signe d’un sujet mûr à point, d’écoute particulière que l’auteur sait accorder au monde qui l’entoure – ou qu’il s’imagine et construit par petites touches – et ressemblent à ces mouvements gracieux de la danseuse en équilibre parfait, perdue dans la musique et retranscrivant avec son corps ses ressentis et émotions naissantes.

Oh, cela vient aussi derrière son clavier. Mais il manque alors cette sensualité, ce contact incomparable de l’accroche légère du papier, du bruit doux de la plume sur les fibres délicates, du tranchant de la main cherchant le repos entre deux segments de phrase, comme quand le corps accompagne le tempo de la retranscription.

L’écriture est un acte physique, bien souvent vécu comme une lutte mais qui peut également se vivre comme une valse, laissant s’exprimer les sentiments avec liberté. Il y a une forme de lâcher-prise dans ces instants fugaces. Ces transports sont comme des récompenses et se savourent de la même manière. On aimerait les faire durer, voire les faire se reproduire à son gré mais ce n’est pas le deal. Même si certains exercices permettent de s’approcher de cet état – et de se mettre à nouveau « en réceptivité » – il n’est pas rare que ces énergies fassent défaut abruptement. C’est un autre signal, celui qui dit « ça y est, retour sur Terre ! ».

Je savoure cet entre-deux et découvre alors mes écrits, je ressens le texte jusque dans les arabesques des lettres dont la régularité et les graphies sont autant d’indices de cet enchaînement de mouvements. Une mélopée qui ne peut être transcrite autrement, se perçoit et se laisse lire avec ses nuances, ses hésitations et ses atermoiements.

Je remercie encore la BNF avec son fabuleux service Gallica car on retrouve ces mélodies cachées comme autant de trésors ponctuant les manuscrits des auteurs « anciens ». L’émotion est forte et va largement au-delà des textes tapés à la machine ou à l’ordinateur. Cette communion se rend possible au travers des glyphes et on se rend bien compte de leur valeur lorsqu’on reçoit une lettre manuscrite. Outre les respirations et la scansion de son auteur – surtout quand on le connaît bien – on ressent cette émotion si particulière à décrypter les mots écrits de manière scripturale.

Ceci se comprend immédiatement au nombre de stylos qui m’entourent et m’accompagnent. J’aime chacun de ces compagnons pour ses appuis et relâches particulières, je sais lequel s’accordera au toucher d’une feuille et je sais d’avance que certains mariages sont impossibles. Comme pour tout artisanat, le choix des outils est prépondérant dans l’action à mener.

Et vous, avez-vous encore un petit carnet et un stylo dans votre sacoche ?

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