Le travail de la matière

Initialement Publié le 7 mai 2012 sur le blog de la Savonnerie Minervoise

Dans l’intimité de mon laboratoire, j’imagine, je rêve, je crée, je teste et teste encore puis je fabrique des savons.

Cet acte quotidien de faire et refaire les mêmes recettes, est perçu de manière très différente selon le ressenti du savonnier. Certains aiment à varier, d’autres vivent avec leurs recettes chevillées au corps. Nos pratiques reflètent notre personnalité mais aussi l’humeur du moment, critères auxquels s’ajoutent des données plus techniques telles que la température extérieure ou l’hygrométrie…

Pour moi la fabrication est une vraie récompense. J’en aime tous les aspects. Je commence par les pesées, la chauffe douce des beurres, je prépare les ajouts, je chemise les mises et j’attends avec bonheur le moment où je vais amener la lessive caustique car s’en suit un moment très particulier.

Techniquement, plonger un mixer dans un récipient plein de gras et de lessive de soude peut sembler très factuel. Pourtant, dès que les matières commencent à tourner et à s’entremêler sous l’agitation que je leur prodigue, il se passe quelque chose. La trace n’est pas encore là mais c’est un moment un peu « hors du temps », ce démarrage du vrombissement mécanique, les flux qui se créent, que je dirige puis par instant que je laisse faire. L’attention est maximale, la tension aussi car déjà je vois apparaître les premières vagues de savon qui remontent vers la surface. La pâte est là, encore imparfaite elle demande que je poursuive le mélange, je sais que tout se joue à très peu de choses et qu’en quelques secondes la trace va apparaître…

La vue, l’odeur mais aussi l’intuition s’accordent pour dire : « Stop ! C’est le moment« .

Instant précieux. Le calme est revenu entre les murs, les terres colorantes sont là dans leurs récipients, les huiles essentielles exhalent leurs parfums puissants. La fabrication se poursuit.

Le bruit reprend. La pâte se teinte, les notes montent et c’est un temps quelque peu enivrant. C’est également le moment, la saponification est lancée, la pâte est coulée dans les mises. Elle me renseigne dans sa façon de s’écouler : sa texture, son besoin d’être tapée pour chasser les dernières bulles d’air, sa façon d’occuper l’espace, sa densité… J’en déduis le temps de repos, j’anticipe la phase de gel et je profite d la dernière minute pour jouer avec un objet sur le dessus, pour créer ces lignes et m’amuser jusqu’au bout avec la matière.

C’est un temps de grande complicité. Puis je pose les couvercles et je laisse au temps sa magie. La réaction se poursuit, loin de moi, je ne suis plus d’aucune utilité. C’est un lâcher-prise, une confiance que l’on acquière au fur et à mesure de la pratique. Mais il m’est difficile de ne pas aller de temps en temps poser la main sur le bois, sentir la chaleur, ressentir ce qui se passe dedans, hors de ma vue.

Enfin vient l’heure de démouler. Une nuit voir deux se sont passées. Et là c’est l’envie de savoir, de faire une nouvelle rencontre. Comment sera ce nouveau savon ? J’ai beau en avoir fait et refait, je m’interroge. J’ouvre le couvercle et déjà ma vue me raconte des choses. L’odorat arrive juste après. Il règne comme une légère moiteur, la pâte est douce, très malléable, il faut être attentionnée dans ses gestes.

Le bloc de savon repose face à moi, sur le découpoir. Avant d’en faire des savonnettes, je ne peux m’empêcher de laisser mes mains passer de chaque côté et de caresser cette masse. La saponification est presque achevée, je ne me brûle pas. Je goûte particulièrement ce temps – très court – où mes mains nues dialoguent avec la matière. Je ferme les yeux pour mieux apprécier la finesse du grain.

Respiration.

Retour sur Terre. Le découpoir attend, le bloc glisse sous ma poussée et déjà trois barres sont prêtes. Le geste suivant permettra de créer les « petits » savons et je les rangerais ensuite pour qu’ils aillent sécher dans les meilleures conditions.

Mais je ne peux m’empêcher de sentir encore les effluves, résidus d’un petit temps dans la journée où la sérénité est entière. Je retiens mon souffle puis repars vers un univers – qui à défaut d’être impitoyable n’en reste pas moins plus trivial – plus concret : faire la vaisselle !

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