Le quotidien vibre. Respiration du monde, souffle universel porté et relayé, inspiré et expiré par tous. Les craintes se diffusent et se délayent comme autant de petites bulles pétillantes formant un grand tout. Reste à filtrer, trier pour ne pas être influencée par un breuvage ambigu.
Elle continuait sa marche cahincaha, empathe effrayée par les œuvres d’esprits malsains vomies par des écrans plein de meurtres, de personnages plats auxquels des humains prêtaient leurs corps et leurs voix sous couvert de distraction des masses. Paix sociale construite sur des bases branlantes, bouillon d’une culture dominante qui se donnait en spectacle et pourtant incapable de décrypter ses propres signaux d’alertes. Elle s’étonnait. Comment était-il possible qu’autant de symboles ne puissent être compris ? Les uns se défendaient en coupant toute entrée, d’autres se laissaient distraire, captés puis envoûtés, incapables de critiques, jaugeant pour autrui les prétendues qualités de ces univers miséreux. L’appauvrissement intellectuel allait croissant alors que l’information reine et brute se faisait brutale, bruyante et pourtant incomprise, survolée, régurgitée partiellement ci et là.
On avait oublié la philosophie. Enseignée au plus grand nombre, elle s’était peu à peu transformée en notes, en nécessité temporaire le temps d’empocher un « sésame » qui n’avait plus rien de la définition initiale. Les capacités se réduisaient comme peau de chagrin et la spiritualité se cristallisait sous les formats les plus divers. Quelques uns surfaient sur la vague, entretenaient les dissensions, se faisaient fort de nourrir les divergences sous couvert de dialogues de sourds. Les éléments clés faisaient l’objet de courts textes sortis de leur contexte, résonnaient comme autant de voix distinctes et éloignaient la foule d’un opium pourtant bénéfique lorsqu’il était savamment distillé. Des gourous sortaient de nulle part, des formateurs initiaient leurs élèves le temps de séminaires, laissant pantelants leurs disciples et les renvoyant au monde avec quelques armes factices. Oh, une petite partie les consommaient à la suite, enchaînant postures et techniques de respiration. Une minorité revenait aux fondamentaux et à leur corps. Leur esprit retrouvait la paix, leur voie retrouvée. Mais pour ces chanceux, combien d’oubliés en chemin ? Quel suivi ? Quelle prétention à leur faire miroiter une intelligence qui ne pouvait exister qu’en appliquant des schémas stricts ? Combien de nouvelles religions, de nouveaux crédos, d’explications et critiques face à des systèmes demandant une vie entière d’étude avant d’en saisir une seule parcelle ? Combien de réincarnations avant de comprendre l’hérésie ?
Le système branlant s’emballait, craquait de toutes parts comme ces navires ballottés par les flots en furie. Alors, combien de prières ? Combien de regroupements spontanés, de curiosités réellement partagées ? Les réseaux se mettaient en place à l’aide de nouveaux outils. On allait vite, on arrivait bardé de son malheur, de ses peines confiées à un cyberespace bruissant d’intentions si diverses que chaque IP en avait une un jour et une autre le lendemain. La pseudo libération ressentie était un leurre efficace à court terme. Puis la solitude revenait, les sentiments reprenaient le dessus, on cherchait une nouvelle école, un nouveau lieu, un forum pas encore visité où recommencer. Il arrivait des rencontres, mais les âmes déjà élevées se reconnaissaient sans peine et évitaient ces autres, fantômes aux multiples messages creux, résonnant de tristesse, montrant le long chemin qu’il leur restait à parcourir. Les termes se banalisaient, les éveillés n’étaient pas la légion qu’ils semblaient être. La montée de quelques uns se faisait au vu de tous mais leur éloignement se faisait plus grand jour après jour. Et malgré leurs patientes explications, leurs témoignages et leurs gestes, les appelés continuaient d’arriver toujours plus nombreux et les élus restaient aussi rares qu’auparavant.
Le tempo du siècle ne laissait ni relâche ni espoir. Une débâcle sans nom continuait, brisait les esprits, affaiblissait les âmes et les renvoyait pour un nouveau tour. Les mots perdaient de leur puissance, et on avait beau en inventer de nouveaux, le temps qu’ils acquièrent une force ils étaient devenus obsolètes.
Le mépris savamment entretenu pour éviter une forte montée des éclairés restait le plus fort, les diktats sociaux conservaient leur poigne d’airain, seul le gant paraissait plus doux. Pourtant, le velours était devenu synthétique depuis des décennies déjà. Consommation à outrance, nécessité de ne pas faire de vague, individus broyés de ne pas devenir ce pour quoi ils étaient faits. Les chemins étaient déviés pour que les dominants continuent de dominer. Les luttes des classes avaient leurs jours fériés, leurs commémorations, les guides se voulaient si nombreux que leurs voix devenaient un chœur inaudible à force de canons déryhtmés. L’héritage avait été gaspillé, comme si souvent.
Les catégories avaient été multipliées à loisir, chacun devait pouvoir rentrer dans des cases, plusieurs. Les choix étaient multiples et devaient donner l’illusion d’une complexité. Les décideurs entretenaient le mystère, faisaient valoir leurs compétences à analyser des cas complexes. Pourtant, leurs avis continuaient d’être binaires, leurs objectifs étaient inchangés, leurs savoirs finalement pas si inaccessibles. Mais tout résidait dans l’image, dernier bastion derrière lequel se réfugier. Et pour mieux semer la zizanie et occuper les potentiels rebelles, rien de plus utile que de leurs offrir les outils de leur perte sans en rédiger le mode d’emploi. Oh, mais si il existe bien, dans un langage si imbitable que si peu le lisent et le comprennent. Passé le temps de la diffusion, de l’adhésion et de l’obligation d’y être, reste à placer les pions. Puis donner l’alerte. Crier au loup, pour que les yeux se braquent de nouveau sur les écrans. Faire miroiter une liberté accrue, faite de partages inintéressants, de savoirs si délayés qu’il n’en reste rien. Dépit des uns, rejet de quelques autres, frayeur du plus grand nombre qui n’y comprend rien et accepte le fait plutôt que de le refuser et de s’en libérer. Choix de la facilité et de la fatalité. Encore. Erreur tragique dans un monde gouverné par des fous pas plus éclairés que les autres.
Éventail de problèmes, armes stratégiques déployées, analyse des signaux faibles.
Entrée en résistance.