La fabrication d’un savon en utilisant le procédé de saponification à froid n’est pas très compliquée. Un détour par quelques blogs de passionnés, le visionnage de vidéos sur Youtube et hop ! Nous voilà partis dans la cuisine à débusquer un mixer et un grand saladier. Quelques briques de lait vides ou une boîte de chips avec un P** en guise de moules de fortune, une balance et le lendemain on démoule (avec émotion) son premier savon.
Ca c’est pour la réalisation. Les techniques varient, on peut s’amuser de marbrages, d’odeurs, de formes… C’est un loisir très ludique.
Mais le point fondamental pour réussir son savon reste la formulation (et ensuite la qualité des ingrédients mis en oeuvre, évidemment).
Et là, les choses deviennent vite très techniques. Chaque huile a des propriétés incroyables et dans notre bienheureuse société d’abondance non seulement nous avons la possibilité d’en utiliser de nombreuses, mais on en découvre encore de rares chaque année.
Là, bonheur de savonnier ! Lequel d’entre nous n’a pas été émerveillé par le rayon « huiles » d’un supermarché, avant quelques mois plus tard d’en revenir et de le trouver bien pauvre en terme de choix…
Et bonheur de formulateur : les assemblages de gras sont variables quasiment à l’infini. Un peu de ça, beaucoup de çi, une once d’une autre huile précieuse car elle a telle vertu, idéale pour une peau comme çi… On s’y perd vite !
Du coup, les réalisations que partagent les passionnées sont incroyables. Elles nous laissent rêveurs car nous savons – nous professionnels – qu’elles nous restent inacessibles en terme de commercialisation. Il s’agit là tant d’une question de coûts (et oui, on y revient toujours) que de modes opératoires complexes et de problématiques de circuit de distribution.
Le versant professionnel :
– nous oblige à déposer chaque recette ;
– réclame des recettes stables, que nous puissions réaliser très souvent avec des résultats similaires. En effet, un client rachète un produit car sa qualité est égale, et s’il peut accepter – voir apprécier – un peu de fantaisie dans la présentation, il refusera un produit de qualité variable d’une fois à l’autre ;
– nécessite des circuits de vente. Peu de savonniers se contentent de vente en direct, et là entre les transports dans des conditions non maîtrisées (températures, hygrométrie) et celles de stockage avant la mise en vente, il y a encore bien des paramètres susceptibles d’altérer nos savons. Leurs compositions doivent donc être stables et ne nous permettent pas de mettre des huiles trop sensibles dans des proportions qui les rendraient intéressantes* ;
– demande que nos recettes correspondent aux besoins d’une large population, sauf marchés de niches, évidemment. C’est pour cela que les aspects règlementaires (et je pense ici avant tout autre choses aux mentions d’étiquettage) sont indispensables. Le client est finalement seul face au savon, il lui est nécessaire d’avoir connaissance de certaines informations.
Enfin, nous terminerons sur une considération particulière : les critères d’appréciation d’un savon (un prochain article les présentera plus en détail). Le « grand public » n’est pas encore fin connaisseur des qualités d’un savon. Il demande généralement un produit avec une mousse dense, de grosses bulles et s’étonne que nos produits ne lui tirent pas la peau.
Il reste un gros travail d’éducation au savon, d’explications patientes sur leurs qualités respectives, d’apprentissage pour apprécier – vraiment – leurs caractères et propriétés. Ce qui poursuivra en le stimulant le beau renouveau que connaît la profession depuis plusieurs années.
* Ce point de vue sera sûrement sujet à polémique. On peut techniquement mettre 0.5% d’une huile dans un savon et appeler le produit « savon à l’huile hyper-rare-de-machin-truc ». Je laisse le lecteur seul juge de ce type de pratiques commerciales.