Voici une des interrogations qui vient régulièrement lors de la discussion avec les créateurs*.
Certes, sans un brief il est bien difficile de cerner les attentes et d’en tirer un cahier des charges (rarement fourni de manière spontanée, le dialogue est donc d’autant plus nécessaire avant de se lancer). Donc nous voilà à creuser et élaguer pour définir les contours du projet.
Et au détour d’une question technique arrive parfois cette demande : « Mais ce que je fais n’est pas utile alors pourquoi le mettre en avant ? » (la formulation varie mais l’émotion est la même à chaque fois).
Là, certains confrères sourient tout en soupirant, avec en tête la remarque « ah ouais, encore un indécis, ça va pas être gagné ! » ou d’autres, plus expérimentés « le prospect ne sait pas ce qu’il veut vraiment, ce n’est pas grave moi si« .
Je n’ai pas cette approche. Pour avoir été dans une situation de création à titre professionnel, ces termes résonnent en moi et je trouve bien normal qu’ils s’expriment. Tous les créatifs ne sont pas des personnes extraverties, promptes à se mettre en avant et fiers de ce qu’ils font. En fait, c’est plutôt l’inverse. Et je suis étonnée de constater que le nombre d’années de pratique n’y change rien. Certains vivent comme une fatalité cette nécessité de vendre (et vivent avec ce mot une relation très compliquée), d’autres s’y résignent car c’est un moyen de survie mais ils ne perçoivent pas les aspects lumineux – et quand ils y arrivent, ce n’est que le temps d’une éclaircie passagère. Ils mettent tout leur cœur dans leurs œuvres – que bien souvent ils ne nomment pas ainsi – et avec, ils ont l’impression « d’avoir tout dit ». Simplement.
D’aucun diront que cette écoute n’est pas rentable voire ne participe pas de la mission. Pourtant, c’est un partage riche doublé d’une belle preuve de confiance que j’ai plaisir à vivre.
Car de ces petits temps naissent des complicités et autant de pistes à creuser. Cette sensibilité est difficile à restituer par les mots sans être intrusive. Tout l’art consiste ici à esquisser cette facette avec délicatesse pour réaliser le portrait de ces hommes et ces femmes qui ont tant à donner, tout en souhaitant rester dans l’ombre. Les peintres penseront aux ombres et lumières, il y a en effet de ça dans cette posture, laquelle révèle surtout une belle dose d’humilité.
Le réconfort provient, de leurs propres aveux, de leurs clients fidèles. De ces gens inconnus qui s’approprient un peu de leurs âmes et le leur signifient, qui les aident à parcourir au jour le jour le chemin ardu de la création et les poussent à continuer. En attendant de trouver d’autres réponses tout aussi porteuses de sens…
* créateurs : artisans, artistes, ceux qui de manière générale façonnent de leurs mains.