Entre lâchers-prises et recentrages, elle avançait cahin-caha… Ballottée par les vents, caressée par la mer, portée par la matrice même de la Terre. Entre les mondes elle poursuivait ses explorations, chevauchait dragons et chimères, en oubliant de mirer les reflets d’une réalité qui se rappelait parfois encore bien brutalement à elle de ses angles saillants.
Les pieds pris dans les mycorhizes elle déployait tous ses sens, encore et encore. Projections, fuites, retraits et toujours « donner pour le seul plaisir de donner. Ne rien s’attendre à recevoir ». Esquive de la déception, ne plus chercher à sauver quiconque, pas même elle. Accepter telle quelle la tessiture de la réalité de l’instant. Se déployer dans les solitudes, revenir au corps pour consoler le cœur. Se créer ses propres flux, ne rien maîtriser et goûter ce qui se présentait. Conjuguer les verbes sans conditionnel, lâcher toute attente et remercier, encore et encore. Laisser s’éloigner les uns, s’immerger dans des silences aux heures infinies tant les mois passent (l’émoi passe ? Eh bien non, persistance autistique ou lien d’âme ? Qui sait vraiment ?). S’étonner de retrouvailles qui n’en sont pas (« encore » souffle l’une d’elle, « sois patiente… Tu le sens bien : ce n’est qu’une question de temps… Et le temps n’existe pas ! »), sentir les vibrations de ces âmes aimées courir le long de sa peau et savourer la caresse sur sa peau, les yeux baignés de larmes et la lèvre coincée entre ses dents pour les retenir.
S’épuiser. Dans un tourbillons d’envies, d’incompréhensions, d’espaces qui n’existaient que pour elle. Prise dans une galerie des glaces comme d’autres surferaient sur les cordes du temps et des réalités. Entrapercevoir des lumières et se perdre : elle était seule à les voir. Se fracasser contre la vitre, invisible mais bien tangible réalité. Se balancer, s’ouvrir, se donner, saturer, suturer pour éviter de suppurer. Apurer les dettes, les effacer d’un sourire, déposer les armes…
…et se retrouver sur une plage, dans les limbes. Là où la ligne d’horizon se confondait avec le ciel, vraiment. Quand la plage disparaissait et que tout repère s’estompait. Comme s’il lui était vraiment possible de disparaître.
Pour la seconde fois. Frémir quand les mondes s’ouvraient, alors qu’une lentille de sable chaud l’accueillait. Se purifier dans la Mer, accompagnée des déités bienveillantes, tandis que l’âme erre, amère… Ouvrir ses perceptions à ne plus les distinguer du restant de la matière, se perdre dans les éléments jusqu’à la dissolution. S’émerveiller de la course des nuages, du roulement de leur frange sous la voûte céleste étoilée et compter les filantes… Jusqu’au rappel de la Lune. De toute sa rondeur elle monta au ciel alors qu’elle se perdait. Accepter de reprendre pieds pour cet autre, ce reflet d’elle-même et lui ouvrir cet espace où aller se nicher sans crainte. Pouvoir le sentir explorer ses réticences, toucher ses limites, se chercher sans réussir pourtant à ouvrir à la connexion.
Elle n’avait pas souvent vécu cela. Ses liens empathiques comme annihilés, inexistants ou tout du moins non opérationnels. Revenir aux sens premiers. L’accompagner d’un sourire, incarner l’archétype et rester dans sa respiration, bercée par les vents doux. Alors continuer, tenir encore cet espace et être, juste être. Avoir en conscience que sa seule présence suffisait. Ni plus, ni moins. Être.
Elle se reliait au feu, à cet Autre qui lui avait ouvert les secrets des braises au travers des fractales. Elle retrouvait son parfum aux épices indescriptibles qui la troublait tant, ce petit frère d’âme aux culbutes improbables et aux yeux si clairs… Il avait été ce premier avec lequel elle avait entendu clairement l’une d’elle soupirer d’aise dans une forme de reconnexion / rassemblement de ses morceaux d’âmes épars. Il lui avait offert alors cet espace, en cocréation spontanée avec ces hommes aux ancrages si forts et si beaux, mélangés dans leurs danses d’où sourdait une énergie puissante et maîtrisée. Elle avait goûté ces précieux moments, vu le ciel devenir autoroute d’improbables technologies… « Inutile », lui avait-il chuchoté, celui qui avait œuvré à les mettre au monde pourtant. Elle avait chassé d’un revers de cœur les inquiétudes signifiées alors, se réjouissant des potentiels et des usages justes qui pourraient bien la mettre réellement au service de tous.
Mélange encore, des souvenirs, des bribes de rêves, de réalités toujours aussi floues et d’émotions ballantes. Empathie encore, quand les aimés revennaient au contact et constats de son impatience…
Non, elle ne touchait pas Terre. Pas celle-là en tout cas. Ses mondes si riches et colorés n’avaient de sens pour personne, pas même pour elle.
Alors ? Alors elle laissait les mots courir, les si belles âmes qui l’accompagnaient avec douceur et juste distance se manifester spontanément. Les soins affluer, de toutes natures. Et parfois elle les rendait, à sa manière. Presque intangible, imperceptible pour l’observateur extérieur. Qu’importait ? Tenir l’espace comme prendre soin de soi et des autres, quelle meilleure façon d’être ? Nul besoin de reconnaissance. De toutes façons, s’il venait à affleurer le retour était immédiat et net. Comme une rebuffade, ravivant encore le souvenir cuisant de longs sanglots. Et respirer, rouvrir le cœur, reprendre le chemin un pied devant l’autre, nus de préférence. S’ancrer – quand s’encrer ne suffisait plus à maintenir le contact avec l’adelphité résidant dans cette galaxie qui la fascinait tant… Enterrer profondément ses racines éthériques pour mieux devenir arbre. Et laisser le Mental s’enfuir et s’épuiser à courir derrière le Mat et le Heyoka… Et tous ces Autres qui lui échappaient alors qu’elle s’arque-boutait à les retenir, sans seulement sentir que d’Autres autour avaient tant à lui offrir. Jusqu’à sentir le parfum de la rose.
Et revenir à elle.