Elle se sentait vide. Incapable de se remplir, elle fuyait la nourriture. De réactions fortes en allergies, elle sentait son corps refuser la lourdeur, la pesanteur, comme une forme d’aliments trop denses. Les souvenirs d’une texture, d’arômes et de consistances cristallisaient son désir. La sentence venait quelques heures à plusieurs jours après. Papilles heureuses un temps, mais quel paiement en retour ! Grincements, articulations coincées, faiblesses… Si elle comprenait son besoin, ses attirances et petits plaisirs coupables – même rares et espacés – se payaient immanquablement et sur de longues périodes.
Ascèse.
Elle errait de régime adapté en petits extras, malheureuse de ne pouvoir « croquer la vie à belles dents », coincée dans une vie moderne où le temps accordé à la cuisine ressemblait à peau de chagrin et la qualité des aliments était plus que suspicieuse. Elle avait revu en profondeur son fonctionnement, s’approvisionnant auprès de producteurs, en circuits courts, en bio intégral. Elle avait vidé ses placards, retiré nombres d’aliments « bannis » par son métabolisme et se retrouvait face à sa cuisine, en alternant les joies des petits flans maison et les repas ternes, où les aliments frais et crus manquaient.
Sans prétention, elle continuait à regarder son âme chercher à s’élever d’une manière ou d’une autre tout en se sentant punie.
Démunie.
Le jour, de tourments en questions non résolues, elle attendait le soir avec impatience. Période bénie durant laquelle elle tissait et entremêlait les fils de son destin, quand elle n’était pas trop fatiguée. La nuit, elle était rattrapée par ses cauchemars et ses visions non maîtrisées. Parfois le sommeil la fuyait, et la colère s’installait. Période trouble, où ses lectures et nombre de témoignages élevaient l’Amour et la Joie au rang de chemin de vie ultime, à ressentir à tout moment et de manière continue. Pragmatique, elle jonglait pour tendre au maximum vers cet idéal simple, tout en sachant qu’il est parfois nécessaire d’emprunter des cheminements sinueux pour mieux atteindre ses buts.
Mais comment trouver la paix lorsqu’elle traversait ses propres visions éveillées ?
Décalage encore, entre ce que ses sens lui disaient du monde et ce que les autres semblaient percevoir de façon normée ?
Incompréhension
Solitaire par nécessité, elle était perplexe lorsque les embranchements se présentaient. Elle en saisissait les enjeux mais n’en restait pas moins démunie, sachant ce qu’elle ne vivrait pas et qui se présentait pourtant à elle. Barrières floues entre hier et demain. Son ancrage balançait, elle chaloupait comme un bateau à l’ancre. En douceur en surface, bien qu’au fond d’elle ce soit une profonde houle qui la renversait.
Recentrage
Ses mots étaient à l’image de ses maux : fluctuants. Ses mots peinaient à transcrire le flow. Consciente des changements qui s’annonçaient, le schéma s’entrouvrait et se découvrait petit à petit, comme si son immensité ne pouvait être appréhendée en une seule fois. Elle était fascinée et effrayée, l’ampleur et la puissance qui se dégageaient de la rupture ne pouvaient être totalement positifs. Les dégâts collatéraux la pétrifiaient. Elle était surtout saisie par le nombre d’esprits tout aussi conscients et prescients des mouvements qui s’annonçaient. Elle vivait avec le sentiment d’une imminence et voyait passer le temps avec une sérénité qui allongeait les minutes. Paradoxalement, elle n’avait que peu de temps à elle. Fatiguée, elle dormait des heures. Profondément, au point d’avoir du mal à sortir du sommeil. Et au beau milieu de ces plages, des insomnies émaillaient ses nuits comme autant de petits points lumineux. Elle ne pouvait s’empêcher de voir une forme de beauté dans ces motifs, elle imaginait un collier aux fils évanescents, parsemés de petites pierres brillantes, autant de diamants précieux aux reflets lumineux.
Elle regardait le temps filer, tressant entre ses doigts cadeaux précieux, plus faits d’émotions et de belles intentions à destination de son futur propriétaire.
Transition