Le bon moment pour écrire

Il n’y a pas de « bon » moment.

L’écriture est une maîtresse qui ne supporte ni horaires, ni lieux. On peut écrire partout et presque n’importe quand. L’important étant d’avoir un support.

Il y a des moments où l’on se sait plus performant, il y a également une notion d’état d’esprit. Celui-ci se conditionne et se travaille. Le maître-mot étant la régularité. La disponibilité mentale se contraint par différents moyens. Proust s’allongeait et rêvassait avant de coucher ses impressions. D’autres auteurs préfèrent la rigueur d’un schéma préétabli et utilisent des techniques de respiration, de relaxation (liste non exhaustive, « boire un thé et manger une plaquette de chocolat » pouvant tout à fait rejoindre les possibilités, à chacun son truc) lorsqu’ils se sentent dévier. Tenir un rythme, s’obliger à produire une certaine densité est une des clés du métier.

L’importance de la phase d’observation.

S’observer, se connaître, savoir reconnaître les temps de maturation strictement nécessaires de ceux dédiés à la documentation (oui, il est impératif d’être curieux et de compulser plusieurs sources contradictoires pour enrichir sa production) ou des indispensables promenades récréatives. En effet, l’écriture est un métier physique. S’aérer est un point essentiel, rester derrière son ordinateur ou devant sa feuille de papier une journée à s’énerver est un excellent moyen de ne rien produire. Mieux vaut donc chausser de bons souliers pour baguenauder une demi heure et revenir avec l’esprit frais et apaisé.

Observer autrui, tisser un récit fictif à partir de sentiments, d’échanges (verbaux mais aussi corporels – la fameuse « communication non verbale ») et prendre des notes font partie intégrante de l’hygiène de l’écrivain. Même si les mercenaires du rédactionnel n’écrivent pas forcément de fiction, celle-ci est un excellent support pour « sortir » des thèmes imposés, c’est le lieu où décompresser, s’amuser et « jeter sur le papier » les idées parasites.

Transcrire revient à écouter et restituer. « Traduire c’est trahir ». Et c’est tout aussi vrai quand on écrit pour autrui. Pour le nègre, il s’agit de saisir la scansion d’une personne, d’être attentif aux schémas de pensée d’un tiers, de le lire pour pouvoir se mettre « dans sa plume ».

Les exercices.

Ils sont nombreux et nécessaires. Écrire, ou plus vulgairement « pisser de la copie » est à la portée de bien des gens. Se fixer un thème, aller à sa rencontre, se donner un cadre (souvent exprimé en nombre de signes allié à une tonalité) et ajouter un ou plusieurs handicaps (ne jamais employer le mot « Arbre » pour décrire une forêt par exemple) permettent la progression.

Réécrire, couper, copier, recommencer sont synonymes de cheminement positif. Avancer, ce n’est jamais que trébucher et poursuivre son chemin.

La concision est un Art.

Comment dire les choses rapidement et simplement s’apprend. Un moyen efficace est d’écrire librement dans un cadre très bref. Puis de multiplier par trois le volume du texte. Enfin, le reprendre et le diviser pour revenir au volume initial. Comparer la copie de départ à la troisième permet de vérifier que l’essentiel persiste mais que la tournure diffère et que le texte final a gagné en profondeur, que certains détails se sont glissés sans polluer mais en donnant une autre saveur à l’ensemble. La coloration d’un écrit est importante, elle donne toute sa force aux mots et changer leurs vibrations n’est jamais anodin.

Un autre exercice fort utile consiste à choisir un thème commun (les « marronniers » en sont d’excellents) et de rédiger plusieurs versions destinées à des supports très variés. Comparer ensuite ses productions à des textes déjà existants sur le sujet est bénéfique, pourvu qu’on ai laissé passer quelques jours et que l’on reprenne avec la distance nécessaire l’exercice de critique. Savoir juger la pertinence de son travail s’apprend également et évite, assez vite, de perdre – et faire perdre – du temps.

Ne pas oublier l’importance des sentiments.

Écrire en laissant transparaître ses émotions ne signifie pas forcément « écrire avec son cœur ». Notre perception est biaisée et sauf à être un spécialiste dans un domaine précis, il serait malhonnête de croire que l’on a fait le tour d’un sujet après avoir produit quelques textes sur la question. Par contre, écrire avec ses tripes sera bien souvent perçu de manière positive et convaincante, si le cadre le permet.

Connaître ses limites.

Un « bon » texte n’est pas forcément un texte qui appelle à publication. Aussi incroyable que cela paraisse, tout n’est pas bon à être édité, quand bien même les mots résonnent, l’argumentation est bonne, l’idée novatrice. On peut sortir de belles choses en rédigeant un pamphlet, sauf que celui-ci est volontairement à l’opposé de nos convictions intimes. Et bien sûr, si on peut de temps à autres échanger avec les confrères sur des forums et montrer quelques textes d’exercice pour avis, ce n’est là que la partie immergée de l’iceberg.

Jeter, c’est gagner.

Les mots sont ainsi, un jour amis, un autre traîtres. La relation que l’on entretient avec eux est faite de nuances, d’allers et venues, de jours avec et d’autres sans. Le lâcher-prise est un indispensable outil. Il n’est ni synonyme d’abandon, ni de lâcheté mais d’un besoin de prendre l’air et de la distance. Pour cela, rien de tel que de lire les textes… D’autrui.

Lire, relire et re-relire.

Enchaîner des mots est une chose. Rendre un texte construit selon des instructions précises en est déjà une autre. Ce qui compte aussi sont évidemment les relectures qui permettent une chasse à la faute, une vérification grammaticale et orthographique pour un rendu impeccable*. Plusieurs techniques existent, dont une que j’aime beaucoup : lire à l’envers. Commencer par le dernier mot et remonter jusqu’au premier évite de se replonger dans le sens pour vraiment s’occuper des fautes de frappe et autres coquilles.

Identifier ses faiblesses est facile, surtout avec les outils qu’Internet met à notre disposition. Prendre un temps régulier pour les utiliser est là encore de la plus grande banalité qui soit mais permet d’observer une vraie progression.

Et le jeu dans tout ça ?

Il est indispensable. Jouer avec les mots, les concepts, les recherches est une étape fondamentale qui permet de s’assouplir, d’avoir une dextérité et de se faire plaisir. Là, nous touchons à l’essentiel. Écrire pour un tiers est un travail créatif. Quant il devient récréatif, c’est le plus grand des bonheurs.

Lequel se répercute à des moments les plus insolites. Qui ne s’est pas retrouvé en pleine nuit à la recherche d’un crayon pour noter une idée, dessiner un personnage, gribouiller le schéma génial d’une intrigue farfelue issue de ses rêves ?

Non, définitivement, il n’y a pas de « bon » moment pour écrire… ^^

 

*Évidement, les cordonniers…

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